mercredi 4 juillet 2012

Position du 3 juillet sur les exonérations fiscales

Texte de ma déclaration devant le Grand Conseil du mardi 3 juillet à l'issue du débat sur les exonérations fiscales accordées dans le canton de Vaud, suivi d'un bref commentaire.
"C'est parce que le chef du département des finances a énuméré bon nombre de chiffres dans son intervention finale le 19 juin que j'avais alors demandé la parole. Et c'est parce que les chiffres donnés, mais pas seulement lors du débat, prêtent à question que je souhaite vous faire part de quelques remarques et réflexions à ce sujet.


En effet, je dois bien avouer que j'éprouve un assez grand malaise quand aux chiffres qui ont été transmis à la délégation, qui ont été cité ici et là dans des réponses à des interpellations par exemple, qui ont aussi parfois été contestés tout au long du processus initié par le Contrôle fédéral des finances ...
Et ce malaise se transforme même, pour moi, en un doute parfois profond quant au fait que le GC et la population soient informés de manière la plus complète et la plus correcte.

Je vais donner quelques exemples pour illustrer ces propos ... et ces doutes:

Tout d'abord, après avoir demandé la liste des entreprises exonérées hors arrêté Bonny (donc pour l'ICC uniquement), le chef de l'ACI a fourni à la délégation une liste de 41 entreprises.
2 ou 3 semaines plus tard, suite à une autre demande de la délégation, un rapport Ernst & Young faisait soudain apparaître cette fois une liste de 63 entreprises. Le questionnement légitime de la délégation quant à cette différence n'a trouvé qu'une tentative de justification pour le moins peu crédible ... d'autant plus quand dans les sociétés « oubliées » sur la première liste en figurent une au moins dont le bénéfice se calcule avec un chiffre à 8 zéros ...

Un autre exemple, concernant cette fois le nombre d'emplois réellement créés, qu'ils soient importés ou locaux. La base sur laquelle s'appuie le CE pour donner ses chiffres, (depuis les demandes insistantes de la gauche d'ailleurs) provient aussi d'un rapport Ernst & Young. Mais comment interpréter les chiffres contradictoires contenus dans ce second rapport du 8 mai 2012 ... On y trouve tout d'abord un tableau qui mentionne, pour 2009, 3514 ETP pour 97 sociétés exonérées ... soit ... mais lorsqu'à la page suivante du même rapport on peut lire que les employés « locaux » (calculés en ETP) sont au nombre de 3534 soit plus nombreux que le total même de l'ensemble des employés de ces 97 sociétés, avouez avec moi que cela interpelle une fois encore. Dans ces conditions, on s'étonnera dès lors d'autant moins que la délégation n'ait jamais pu obtenir le ratio entre emplois locaux et emplois importés ... les premiers nous paraissant évidemment prioritaires.

3e exemple: le même rapport E&Y indique le montant des impôts qui seraient payés par ces employés, calculés, comme mentionné, sur une moyenne de 150'000.- de revenu par ETP.
Or, dans des tableaux que nous a remis le SPECO et dans lesquels on nous donne le total de la masse salariale de chacune de ces entreprises, le total général et le nombre d'ETP; un rapide calcul entre cette masse salariale et le nombre d'ETP permet donc de trouver la moyenne réelle et l'on s'aperçoit avec pas mal d'étonnement que la base de calcul utilisée par E&Y conduit à des montants supérieurs de presque 20% à la réalité des chiffres donnés par les propres services du département de l'économie ! Avouez une fois encore que c'est pour le moins surprenant et inquiétant !

Dernier exemple:
Dans son long plaidoyer d'il y a quinze jours, M. Broulis a donné également le montant des investissements consentis par les entreprises exonérées: il a avancé la somme de 3,1 milliards ... là aussi ce montant est calculé d'une manière pour le moins bizarre: pour une partie des entreprises exonérées (celles sous le régime arrêté Bonny) on tient compte d'investissement « incorporels »; ceux-ci correspondent à la moitié du total des investissements décomptés; or il m'étonnerait que le CE puisse affirmer que ce presque milliard de francs concernés soient des investissements qui touchent réellement l'économie vaudoise. On s'étonnera encore, de ne pas avoir la même base de calcul pour les investissements des entreprises exonérées uniquement pour l'ICC, puisqu'ici on ne tient pas compte de ces fameux investissements « incorporels », ce qui ne l'occurrence paraît plus crédible. En définitive, on arrive à un total évoqué par M. Broulis mais qui ne tient pas compte des mêmes éléments selon le type d'exo accordée, ce qui ne contribue pas vraiment à la clarté souhaitée.

Ces quelques exemples, qui montrent le flou et les imprécisions ou écarts parfois importants et inquiétants qui entourent tous les renseignements donnés expliquent pourquoi je suis encore extrêmement réservé et ne saurait donner aujourd'hui le blanc-seing que certains attendent visiblement ... Il n'est pas possible, pour moi, de passer sous silence ce que je qualifierais de fonctionnement problématique des services concernés, trop souvent incapables de renseigner d'une manière totalement fiable, jusqu'au moment en tout cas où le contrôle fédéral des finances puis la délégation de vos commissions de surveillance s'est penchée sur la question. En l'état, j'attends donc encore avec impatience le rapports complet du Contrôle cantonal des finances et celui de la Cour des Comptes, en émettant le souhait que cette dernière ne soit pas entravée dans ses travaux par des difficultés qu'elle aurait à obtenir tous les documents et renseignements dont elle a besoin pour mener à terme son travail.

Je terminerai en disant que je crois cependant que le Conseil d'Etat est conscient des problèmes que j'ai évoqués et qu'il a déjà pris un certain nombre de mesures afin, notamment, que le suivi des exonérations soit totalement irréprochable. Les recommandations et la proposition de tableau de suivi faites par la délégation qui s'est penchée sur cette problématique devraient y contribuer. Tout comme les éléments présentés jeudi dernier par les Conseillers d'Etat en charge des finances et de l'économie et qui ont tenu une conférence de presse afin d'y présenter les critères d'analyse pour les demandes d'exonérations fiscales des entreprises, endogènes ou exogènes, qui servent les intérêts économiques du canton. Ce document met, selon le Conseil d'Etat, l'accent sur un rééquilibrage en faveur des activités de recherche et développement et de production. C'est à saluer. Mais dans la mesure où il n'exclut en aucune manière l'exonération de sociétés de base, donc de grandes multinationales, nous pouvons penser que les critères éthiques, même si ce terme déplaît ou fait peur à certains, que ces critères éthiques prendront une importance plus grande que celle qu'il m'a semblé percevoir dans la communication des responsables de département: en effet, lorsque j'entends M. Leuba affirmer à la Télé.ch qu'aucune porte n'est fermée cela me fait tout de même un peu souci et je ne suis pas persuadé que ce soit cela que souhaite l'ensemble du Conseil d'Etat ! Malgré ce petit bémol, on peut déjà se réjouir de la nouvelle direction prise par le gouvernement. Comme lui, nous pouvons souscrire à la pérennisation de cet outil de promotion économique dans la mesure où il se trouve beaucoup mieux cadré et dans la mesure aussi où les commissions de surveillance seront, j'en suis certain, régulièrement et complètement informées. Demeure encore la question des statuts spéciaux accordés aux sociétés étrangères et dans ce cadre, il nous paraît important de mieux cadrer les pratiques fiscales à tous les niveaux et de définir là-aussi des critères extrêmement précis et transparents, tout en veillant à ne pas priver les cantons de ressources fiscales importantes et utiles au maintien de prestations tout aussi importantes pour les habitant-e-s de notre canton.
Il s'agit d'un exercice d'équilibre pas nécessairement facile ; mais connaissant l'attachement indéfectible de notre ministre des finances à la préservation des équilibres, je suis assez confiant.
Nous continuerons donc d'accorder une attention toute particulière à cette question tout en attendant une transparence bien plus grande que celle qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui, estimant, par exemple, qu'il n'y a aucune raison que le secret fiscal soit appliqué différemment dans le canton de Vaud que dans celui de Genève, en particulier pour ce qui est du nombre de sociétés qui bénéficient d'exonérations et de la masse fiscale totale exonérée."

Commentaire:
Le ministre des finances, Pascal Broulis, n'a pas pu justifier les différents écarts autrement qu'en disant que les chiffres donnés étaient des photographies prises à un moment donné ... Décidément ... on doit beaucoup aimer David Hamilton du côté de la Rue de la Paix !